Journal de brigade.
L'école du jeudi, cette école de fous, les collègues ne se rendent même plus compte qu'ils vont mal. Et les enfants, je n'ai pas toujours les mots.
Parfois il m'échappe des : "qu'est ce qu'ils sont cons !" aussi des adjectifs tels que nuls, frappés, formatés, à formater, psychopathes, bref, ça part en jet à la pause clop, et nous en sommes tous là.
J'en ai deux vraiment terribles. Sans parler des 22 autres.
L'un est prématuré, fils d'alcooliques, et totalement disjoncté, il ne peut se taire, ni rester assis, ni faire preuve d'un comportement normal vis à vis des autres. Parfois, je craque, il sort, on se le refile à tour de bras, pour tenir. Il est souvent préférable de l'expulser, car on serre vraiment les mains pour ne pas giffler.
L'autre, comment dire : vous voyez les "casquettes", ceux qui se trimbalent en pantalons qui tombent, avec bien souvent une capuche pour clore le tout. Lui, il cumule, casquette plus capuche par dessus, dans la cour on ne voit plus sa tête, tant il est caché par tout ça. Sauf que lui, il n'a que 7 ans.
Je suis assez souvent, pour ne pas dire toujours en train de le suivre de très près, ne serait-ce que pour qu'il bosse un minimum. Une fois sa réaction fut : "Vas-y ! J'ai pas envie de le faire ton truc !" Dans ces cas là, je reste calme, et ça l'énerve, alors, la dernière fois, il a déchiré son cahier, et s'est mis à se taper la tête sur la table. Il s'est arrêté quand il en a eu assez. Bien sûr, le soir, je suis épuisée.
Et puis il y a la maternelle, des petits schtroumpfs normaux, craquants, et des parents adorables, il y a aussi des enfants difficiles, mais 5 sur 25, au lieu de 21 sur 22, ça aide.
Le même tous les vendredis soir, a sa maman en retard, la règle veut que dès 16h40, si les enfants sont encore là, je les emmène à la garderie. Résultat, il reste souvent avec moi, passé 16h30. 16h40 arrive:
"Maîtresse ! Tu attends un petit peu, maman va arriver !
Il est inquiet, il n'aime pas la garderie, il se sent abandonné quand je l'y mets.
- Oui, mais tu sais il va être l'heure, je vais m'en aller.
- tu as un petit garçon à aller chercher ?
- non, j'ai mon week end à aller chercher."
Il se triture les mains, indifférent à ma métaphore, pour eux, nous n'avons pas d'âge, je suis maintenant maman potentielle d'un petit garçon à aller chercher. Je range mon matériel, j'ai hâte d'être en week end, il m'observe :
-peut-être que maman elle va bientôt arriver en courant ?
Alors je regarde par la fenêtre, et je vois la jolie maman arriver en courant, je le rassure, oui, elle arrive, ses joues roses ont l'empreinte d'un sourire.
Maman est là, il serre derrière lui, les cadeaux pour la fête des mères, et ne la laisse pas approcher pour qu'elle ne voie pas. Alors je convie la maman à rester devant lui, et à marcher à reculons pour ne rien regarder. Elle le fait, ils s'en vont tous les deux, l'une en arrière, l'autre en avant, ses petites mains cachées.
Je prends mes affaires, et je pars, j'ai toujours un regret, l'épuisement du jeudi, qui m'empêche de profiter davantage de cette classe. Mais bon, je fais ce que je peux, et je vais à la rencontre de mon week end.